CHÈRES PUPILLES, MIRETTES, LENTILLES, ET AUTRES PAIRES DE LUNETTES,

Si les mots vous parlent un tant soit peu, que ce soit par conviction littéraire, par devoir professionnel ou par engouement stylistique, vous trouverez ici une myriade d'échantillons plus ou moins substantiels, laconiques ou étoffés, toujours digestes et bien tempérés, voués à alimenter votre bonheur de lire et / ou votre besoin de faire rédiger.

mercredi 10 octobre 2012

FLIPPE TA MÈRE, ET NE TE RETOURNE PAS…
















Tout le monde sait.

Une cacophonie numérique sensée s’apparenter au chant des grillons arrache Céline à la torpeur de sa sieste. Du bout de l’index, elle ouvre le lien que sa copine Mimiche vient de lui forwarder. Elle y découvre le quotidien d’une usine chinoise dans laquelle les ouvriers fourmillent sans relâche, sans sommeil, sans pipi, presque sans salaire, avec l’obligation de se taire et l’interdiction de sourire, et avec un contrat de renoncement à toute concrétisation de pulsion suicidaire. On pourrait tout aussi bien y fabriquer des baskets ou des jeans, mais ici on choisit de vouer sa vie à un produit hautement plus retentissant : l’Iphone 5, celui que Céline rêve de s’acheter bientôt, parce que le 4S c’est bien, mais quand même, ça commence à bien faire.
Elle est émue par le garçon aux paupières mi-closes et par la femme au visage émacié. Ils lui font de la peine. Ils lui causent même un sacré tracas. Alors elle ferme les yeux, elle pense fort à eux, et elle espère fort que ça s’arrangera bientôt, maintenant que tout le monde sait. Elle se sent démunie, elle sent la colère monter, elle se dit qu’il a déjà fallu avaler les histoires de baskets et de jeans, et que la consommation c’est bien gentil, mais franchement, à trop y regarder de près, c’est vraiment pas très sympa.
Elle fait un texto à Mimiche pour la remercier de son lien, et elle lui dit que le nouvel Iphone, il peut toujours attendre et que franchement, plutôt crever que de l’acheter maintenant, celui-là. Mimiche ne répond pas tout de suite. Elle doit être en train de faire des courses, à moins qu’elle ne soit encore au cinéma.
Céline frissonne et puis soupire. La solitude non plus, quand même, c’est pas une vie… Et ça non plus c’est pas demain la veille que ça changera.
L’écran de son 4S se met en veille, son téléphone se verrouille, elle regarde un peu par la fenêtre, et elle se réchauffe un grand café noir. Elle pense au garçon aux paupières mi-closes et à la femme au visage émacié. Elle leur sourit dans sa tête. Elle leur sourit de toute son âme. C'est sûr, ça s’arrangera bientôt, maintenant que tout le monde sait.

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