CHÈRES PUPILLES, MIRETTES, LENTILLES, ET AUTRES PAIRES DE LUNETTES,

Si les mots vous parlent un tant soit peu, que ce soit par conviction littéraire, par devoir professionnel ou par engouement stylistique, vous trouverez ici une myriade d'échantillons plus ou moins substantiels, laconiques ou étoffés, toujours digestes et bien tempérés, voués à alimenter votre bonheur de lire et / ou votre besoin de faire rédiger.

mardi 31 juillet 2012

FLIPPE TA MÈRE, ET NE TE RETOURNE PAS...













Il est trois heures, la lune est pleine, Céline a l’alcoolémie paisible et le talon qui lambine sur le pavé. Elle rembobine le fil d’une soirée décousue, et se remémore le sourire du garçon, le gloussement de la fille, le moelleux de la pizza et la douceur de la brise. Elle observe la voiture qui s’arrête en haut de la rue, le couple qui en sort, et la fille s’accrochant au garçon qui titube. Et pendant qu’ils s’éloignent, elle frissonne de langueur et de fatigue. Parvenue au niveau de la voiture, elle s’étonne que le coffre soit entrouvert, mais elle ne s’attarde pas. Elle n’est plus qu’à une centaine de mètres de chez elle. Ses paupières vacillent, ses chevilles mollissent, ses vertèbres raidissent, mais elle ne tressaille pas. Dans son dos, la nuit se drape d’un air plus pesant, alors sa respiration se voile, et elle accélère le pas.
Il sait qu’elle sait qu’il est en train d’y passer, le vieillard abruti de douleur et d’agonie, qu’elle n’a pas voulu voir, ni même regarder. Il sait qu’elle se débine, il abhorre son mépris, et il braille sa mort en sourdine. Il voudrait que son râle vienne cogner dans les tempes de Céline, qu’il s’insinue dans ses veines, qu’il la remplisse de honte et de remords.
Mais elle est arrivée à la porte de chez elle, elle a déjà mis la clé dans la serrure, posé son sac sur la commode, et froissé ses vêtements dans le panier. Ses draps sont frais, ils sentent encore un peu la lavande, et elle s’y étend après sa douche, nappée de crème hydratante, cernée de sérum antirides, et luisante de démaquillant. Et tandis qu’elle se fige dans le noir, se laissant happer par le calme et flotter dans le sommeil, le vieux crachote et larmoie, transi de solitude sur sa couverture râpeuse. Palpitant de colère et de peur, il se vautre dans l’espoir, puis s’emmure dans le silence. Il ferme un œil, se veille avec l’autre, glisse un orteil à travers le coffre, et se propulse corps et âme au dehors de sa vie.
Céline toussote, mais ne se retourne pas.

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