CHÈRES PUPILLES, MIRETTES, LENTILLES, ET AUTRES PAIRES DE LUNETTES,

Si les mots vous parlent un tant soit peu, que ce soit par conviction littéraire, par devoir professionnel ou par engouement stylistique, vous trouverez ici une myriade d'échantillons plus ou moins substantiels, laconiques ou étoffés, toujours digestes et bien tempérés, voués à alimenter votre bonheur de lire et / ou votre besoin de faire rédiger.

vendredi 13 juillet 2012

LA JOURNÉE DONT VOUS ÊTES LE ZÉRO.













8h42, ligne 4, Porte d’Orléans.
Vous êtes attendue par un employeur potentiel dans 18 minutes. À bout de souffle et hors d’haleine, il s’agit maintenant de parvenir à vous engouffrer in extremis dans la dernière rame du métro. Vous pourriez avoir davantage de jugeote que de scrupules, bloquer la porte à l’aide d’une personne âgée, et frôler sans peur la morne carne de ses mollets décalcifiés, vous faufilant entre ses deux mi-bas Damart, montés sur une paire de Birkenstock toute dernièrement démarquée… Vous pourriez avoir un CV à éclipser tous les retards, et vous contenter d’attendre le prochain métro en compagnie de votre incroyable talent… Mais vous êtes aussi peu agile de votre corps que de votre esprit, et vous vous complaisez à vous coincer la main dans la porte, sacrifiant l’une de vos piteuses phalanges à la morsure de l’étau coulissant. Supposant avoir davantage besoin d’un CDI que de votre auriculaire, vous parvenez tout de même à destination, armée de motivation sanglante, et de douloureux espoir. 

12h38, Place d’Italie.
Votre recruteur vous ayant trouvée bien plus séduisante que professionnelle, à défaut de vous confier le poste, vous a insinué l’amour. Avant de ne faire qu’une bouchée de votre lingerie fine et usée, sur la banquette arrière de sa Simca rouillée, il vous invite à vous remplumer les côtes et à vous défraichir le gosier, sur la banquette en skaï d’un fidèle ami bistrotier. Vous pourriez avoir un soupçon d’amour-propre, lui asséner qu’il affiche bien trop le profil du serial éjaculateur, et le laisser mariner en plan, tout cru et tout détrempé, dans sa soif de sexe faible et de désir étriqué. Mais vous voilà aussi miteuse que flattée, ne parvenant à mâcher ni votre croque-madame insipidement élastique, ni votre trop perceptible fébrilité. La voiture démarre moins facilement que son conducteur, l’amour s’introduit aussi vite qu’il se suicide, et vous rentrez chez vous bredouillante de regrets, avec autant d’aiguilles dans le cœur que d’ampoules aux pieds.   

17h12, impasse des Géraniums.
Revigorée par une ribambelle de faux amis facebook et par une ritournelle de vraie boulimie, vous avez fini par vous départir de votre déprime, et votre récente mésaventure, si sordide et téléguidée soit-elle, n’est plus qu’un gluant souvenir abandonné dans un mouchoir de poche. Vous pourriez prendre le temps de prévenir votre rechute intellectuelle, cherchant un moyen infaillible de vous vivifier le cortex. Vous pourriez vous infliger un tantinet de mise en concurrence psychologique, ou mettre le cap vers une introspection sans doute houleuse, mais assurément bien sentie. Mais vos perfides neurones, qui ne mangent pas de ce pain là, vous assignent bon gré mal gré à une mise en quarantaine cervicale. Et c’est frappée de végétation cellulaire et abasourdie de bonhomie mentale, que vous sombrez définitivement dans la lucarne, cachetonnant à grandes lampées de W9, de Direct Star, et de NRJ12.

02h02, définitivement impasse des Géraniums.
Vous sursautez sur votre housse de canapé la Redoute, arrachée à votre comateux coltar par l’oralité dissonante d’une animatrice aussi stridente que décolletée. C’est la dernière minute du dernier numéro de la dernière année de la dernière émission de Jean-Marc Morandini. Vous pourriez vous sentir indifférente voire réjouie de cette extinction programmée. Vous pourriez aspirer à vous extraire d’une mauvaise passe télévisuelle gorgée de superficialité médiocre et de bêtise gratinée. Mais qu’il s’agisse de fatigue ou de dépit, le résultat est le même : vous larmoyez, perlant votre joue de tendresse chagrine et de commisération incarnée. L’accent aigu de la télé avec un petit t vient d’être mis entre parenthèses, sous vos yeux endormis et mouillés. Il y a une place à prendre, et qui plus est, à forte valeur culturelle ajoutée, alors pourquoi n’iriez-vous pas postuler ? À l’aube d’un prodigieux tournant de carrière et de vie, vous vous rendormez, certes dans votre chambre, mais pas sur vos lauriers.

1 commentaire:

  1. Quel beau leurre de se "vivifier le cortex" en se délectant de la médiocrité élevée au rang de talent! Madre mia del amor hermoso, et dire que j'ai raté la trajectoire hollywoodienne de ce surdoué du paf au charisme tête de gondole.
    Amours forcées contrariées et adieux grotesques du nez le plus niais du paf... demain est un autre jour (et tant qu'il me reste les rideaux)

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